Interférences culturelles Roumanie – Liban 2021
La littérature en partage
Le concept de culture est un concept clé pour comprendre l’être humain dans sa complexité. Il permet de penser l’unité de l’humanité dans la diversité de ses manifestations. La culture est ouverture au monde, curiosité, prise de conscience de la complexité du réel. La littérature vise à éduquer, à communiquer des pensées, à influencer et même à séduire. Elle est aussi une voie d’accés à la culture de l’autre, fait une interconnexion, entre le temps vécu et le temps historique, constitue un héritage patrimonial et peut concourir à la préservation du patrimoine d’un pays, lorsqu’elle en souligne les valeurs, la culture et la civilisation.
La littérature, permet le franchissement autant des frontières temporelles que géographiques et assure la perpétuation du patrimoine culturel de l’humanité. La voix littéraire permet d’affirmer son humanité. C’est la force de la littérature.
Le 21 mai 2021 la revue, ORIENT ROMANESC, sous le haut patronage de l’ambassade de la Roumanie au Liban, a organisé un webinaire sur le thème “La littérature en partage”. Nos invités d’honneur ont été: SE M. Radu Cătălin MARDARE, l’Ambassadeur de la Roumanie au Liban, SE M.Dan SANDOVICI, l’Ambassadeur de la Roumanie en Syrie, Mme Zeina ANTONIOS, journaliste à l’Orient Le Jour et correspondante pour France24 à Beyrouth et M.Naji NAAMAN, écrivain, rédacteur et editeur libanais, président de la Fondation Naji Naaman, une fondation pour la culture gratuite.
On vous présente l’intervention de M. Naji NAAMAN, l’homme de culture libanais qui a créé et préside la Fondation pour la Culture Gratuite (FCG) et décerne des prix littéraires qui portent son nom.
Quand le “Fou de la Culture Gratuite” parle d’:
Interférences Culturelles avec la Roumanie
Mesdames et Messieurs,
Ravi d’être avec vous ce soir pour parler d’interférences culturelles relatives à mes contacts avec les écrivains roumains dans le domaine de la culture gratuite que je prône depuis plus de trois décades déjà.
Je tiens tout d’abord à remercier son Excellence Monsieur Radu Cătălin Mardare, nouvel ambassadeur de Roumanie à Beyrouth, Madame Zeina Antonios, journaliste à L’Orient-Le Jour, et Madame Anca Raşca Cheaito, fondatrice de la Revue culturelle Orient Romanêsc et modératrice de ce webinaire.
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Chers amis (es),
Parler de culture pour le promoteur de culture que je suis c’est parler de soi-même, chose haissable n’en déplaise à Blaise Pascal. Pourtant, ma vie, mes écrits et mes activités culturelles ne peuvent qu’être associés, surtout que tout ce que j’entreprends est lié à mes propres idées, à mon travail personnel et aux moyens du bord dont je dispose, si minimes qu’ils soient, et ce dans un pays, et malheureusement dans un monde où la culture n’est plus subventionnée comme il se doit, et si elle l’est, c’est plutôt dans le but d’y mettre la main et même, parfois, pour détourner des fonds.
Plongé dans mes études, c’est en 1979 que je décroche simultanément trois licences: en droit de l’Université Libanaise, en sciences commerciales et en histoire de l’Université du Saint-Esprit. Durant l’année académique 1979-1980, je voyage en France où j’obtiens un diplôme d’études approfondies en histoire. Toutefois, c’est la littérature et la culture gratuite qui me préoccupent le plus: je pense à éditer mon premier livre gratuit à sept ans, et je commence à écrire à neuf.
Bien avant ces années d’études universitaires, je ne cesse de travailler: à quinze ans je publie dans les journaux et magazines, et mon supposé humanisme se sent déjà, car je me penche sur des sujets d’ordre humain et social. À seize ans, je donne des leçons particulières; à dix-huit je suis employé de banque, et instituteur à dix-neuf! je ne m’attarde pas, en outre, de m’affilier à la Croix Rouge Libanaise dans un temps où le Liban sombre dans des guerres à la fois meurtrières, futiles et sans fins.
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De retour de France en 1980, je suis de nouveau instituteur, et je gère une maison d’édition, la Maison Naaman pour la Culture (MNAC), fondée en 1979 et qui n’a pas de siège social encore. Marié en 1981, je fais tout pour subvenir aux besoins de ma famille et arrive à me faire une petite bourse dans un temps où les guerres ne cessent de sévir au Liban comme dans la région.
En 1991, c’est la faillite de la BCCI. Je perds tout mon argent, mais ma détermination est loin de s’ébranler, et je passe à l’offensive: en effet je débute, cette même année, la publication de ma série gratuite de livres littéraires (près de deux cents titres parus jusqu’à présent), et je suis membre fondateur d’Al-Yunbu’ (“La Source”, société de charité pour handicapés mentaux).
Repartant de zéro, les affaires allant de mal en pire, je m’obstine de plus en plus. Ne profitant d’aucune aide, tant du secteur public que du secteur privé, j’offre depuis tout mon travail et mon argent pour la culture gratuite, et ce au détriment des besoins grandissants de ma famille, et je m’endette, ce qui me vaut le titre de “Fou de la Culture Gratuite”.
En 2002, je lance les prix littéraires qui portent mon nom, et qui sont décernés chaque année aux auteurs de toutes langues et tous pays dont les œuvres sont les plus émancipées des points de vue contenu et style et qui visent à revivifier et développer les valeurs humaines: des dizaines de milliers de candidats et candidates et des centaines de lauréats et lauréates de plus de soixante-dix pays du globe jusqu’à cette date.
En 2007, je lance une deuxième série de prix littéraires, ciblés cette fois-ci, un salon littéraire et culturel et un atelier d’écriture. S’inscrivent à mon actif aussi, en 2008, l’établissement d’une chaîne de kiosques de livres gratuits pour le grand public et le lancement d’une bibliothèque gratuite pour séries et œuvres complètes.
En 2011, je crée la Fondation Naji Naaman pour la Culture Gratuite (FCG), une association non gouvernementale et sans but lucratif où je regroupe et regrouperais mes activités culturelles, tant actuelles que futures, y faisant participer des interessé(e)s de partout dans le monde.
En 2012, j’inaugure «La Salle Commémorative Mitri et Angélique Naaman», et je lance «Le Jour International de la Culture Gratuite» (célébré tous les 19 mai via les ambassadeurs de la FCG) et un programme de «Tourisme Culturel». En 2013, je suis en face de deux nouveaux défis: «Le Musée des Écrivains – Empreintes» et les «Départements de livres gratuits offerts aux bibliothèques publiques» au Liban et ailleurs. Le «Cercle Littéraire et Culturel du Lundi» voit le jour la même année.
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Trois pays en dehors du Liban ont profité le plus de l’aide de la Fondation pour la Culture gratuite, surtout dans le domaine de la traduction, de la publication et de la distribution gratuite des livres, à savoir: l’Islande, l’Arménie et la Roumanie.
Pour ce qui est de l’Islande, deux livres sont parus en arabe par la FCG, l’un d’eux portant sur 25 écrivains islandais contemporains.
Pour ce qui est de l’Arménie, j’y ai été deux fois:
La première en 2015, où j’ai été à l’honneur à la Bibliothèque municipale d’Erevan, et j’ai reçu la décoration du président arménien Serzh Sargsyan.
La deuxième en 2019, où j’ai reçu la décoration Aurora Mardiganian au Musée et Institut du Génocide Arménien, et j’ai été encore une fois à l’honneur à la Bibliothèque municipale d’Erevan où a été inauguré un département de livres offerts par la FCG, chose que je n’ai pas pu accomplir en Roumanie pour des causes matérielles relatives à l’envoi des livres et volumes à la ville de Tecuci.
S’agissant de la Roumanie, j’y ai été deux fois aussi:
D’abord en 2002, date de ma seule participation à un festival international de poésie. Il s’agissait de la sixième édition des Nuits Poétiques de Curtea de Argeş, où j’ai reçu le Grand Prix International de la Poésie. Pourtant, je ne me suis jamais dit être poète, et j’ai même écrit un jour: «Si nous éprouvons tous des sentiments, personne n’est réellement poète pour autant; à le devenir, seulement, nous nous essayons».
À noter que deux de mes livres ont été traduits en roumain et publiés à Bucarest: Emancipatul, en 2002; et Poeme Alese, en 2003.
En 2017, date de mon deuxième voyage en Roumanie, j’ai été invité comme président d’honneur au premier Festival International des Aphoristes tenu à Tecuci.
Reçu à l’aéroport de Bucarest par Emil Dinga, écrivain et ancien ministre qui me porte ma lourde valise, j’apprends ce qu’est la vraie modestie; une modestie confortée par Eugen Doru Pelin, président de la Fondation Pelin organisatrice du festival, qui me servait lui-même les plats que sa femme me préparait de ses propres mains, et affermie par Madame Lidia Costea décorée des Palmes Académiques françaises, qui venait chez moi à bicyclette pour me servir d’interprète à titre gratuit.
En outre, la Fondation Pelin m’avait organisé un programme très chargé et intéressant qui s’est soldé par la rencontre de Cassian, Archevêque du Bas Danube à Galaş. J’ai été aussi à la une des médias et anthologies comme sur la couverture du magazine “Cultural Detetctiv”.
J’ai participé bien sûr à toutes les activités du festival, et je me rappelle la stupeur des élèves du Lycée Calistrat Hogaş quand je leur ai lancé un défi en disant: nous allons sortir prendre une photo à côté du buste de Hogaş, cette photo sera publiée bientôt sur la couverture d’un livre qui comportera vos aphorismes et leurs dessins appropriés en plusieurs langues. La photo a été prise et le défi est devenu celui de tous les citoyens de la ville de 8 à 88 ans. Et, chose promise chose due, le livre est sorti en couleurs sous le titre “Pensées Dessinées” dans six langues, à savoir: le roumain, le français, l’anglais, l’italien, l’arménien et l’arabe, et ce avec l’aide de Lidia Costea, Luminiţa Abrudan, Alina Breje et Garo Klenjian. Tiré en 3000 exemplaires, le livre a été distribué à Tecuci à l’occasion de la deuxième édition du festival, grâce à Madame Salwa Flaity et la TAROM.
Reste que cinq plantes de cèdres ont été offertes par la MNAC et la FCG à Tecuci et la Moldavie, en signe d’amitié libano-roumaine. Et je veille personnellement à ce que ces cèdres trônent majestueusement sur le sol sacré de la Roumanie.
Il est à noter que les auteurs roumains qui ont été édités par la Maison Naaman pour la Culture dans la série littéraire gratuite puis par la Fondation pour la Culture Gratuite sont les plus nombreux après les auteurs libanais. Je cite entre autres:
– Madame Carolina Ilica qui a vu paraître en 2002 la traduction arabe de son livre intitulé “La Tyrannie du Rêve”, une traduction signée George Gregory, un ancien ami orientaliste;
– Monsieur Dumitru M. Ion qui a vu son livre intitulé «L’Évangile selon Jean La Métaphore», traduit et publié en arabe en 2003;
– Monsieur Vasile Ghica, qui a vu publier son livre intitulé «Entre les Griffes du Rire» en roumain, français et arabe en 2015; la traduction française était signée Constantin Frosin, Chevalier de l’Ordre Français des Arts et des Lettres et ambassadeur de la FCG, décédé l’année passée. Des copies de ce livre ont été transportées en Roumanie grâce aux bons soins de Madame Laura Mircea, de l’Ambassade Roumaine à Beyrouth, qui m’a honoré de sa visite.
– Quant au livre de Monsieur Valeriu Butulescu, intitulé «Oasis de Sable», il a été traduit et publié en arabe en 2006; en arménien en 2007; en perse en 2008; et en syriaque en 2009; alors que ses «Réflexions Insulaires» ont vu le jour en libanais en 2020; et ses aphorismes intitulés en anglais “Immensity of the Point” sont parus en égyptien la même année.
– Enfin, la dernière parution en date de la Fondation fût le livre de Nicolae Petrescu-Redi intitulé “Le Rossignol de l’Arbre Généalogique” qui a été traduit en arabe et publié en mars dernier en roumain et en arabe, et ce en pleine crise de la Covid-19 au Liban, doublée d’une crise économique et monétaire sans précédent.
À noter que les prix littéraires de la Maison Naaman pour la Culture, lancés à l’échelon international en 2002, ne cessent de voir au moins un roumain ou une roumaine primé(e) tous les ans. Mieux encore, le total général des lauréats et lauréates roumains et roumaines est de loin le plus important, alors que les poèmes et textes en roumain, suivis de leurs traductions en arabe et/ou français et anglais (et parfois en d’autres langues) tiennent une large part dans les anthologies annuelles des prix diffusées gratuitement partout dans le monde.
À signaler aussi que les livres en roumain sélectionnés dans la Bibliothèque des Séries et Œuvres Complètes de la FCG arrivent au quatrième rang après l’arabe, le français et l’arménien, devançant l’anglais!
En outre, la MNAC et la FCG mettent les lauréats des prix littéraires en contact ce qui leur permet de s’entraider et de faire sortir des traductions réciproques de leurs œuvres.
Reste à savoir qu’en 2017, et à l’occasion du Jour International de la Culture Gratuite, un protocole de coopération culturelle, éducative et sociale a été signé entre la FCG (Jounieh, Liban) et ANCI/PROEMA (Marmarosh, Roumanie), représentée par Monsieur Alexandru Peterliceanu.
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Mesdames et Messieurs,
De nos jours où une bonne partie des médias et des réseaux sociaux ridiculisent ce qui est valeureux et valorisent ce qui est ridicule, la FCG essaie de rendre hommage aux hommes et femmes à exploits, et ce par le biais des «Rencontres du Mercredi», nom du salon littéraire et culturel tenu, depuis 2008, six fois la saison, où ces hommes et femmes sont des hôtes d’honneur. L’hommage leur est rendu aussi par le biais du «Musée des Écrivains – Empreintes» où, depuis 2013, les écrivains sont invités à choisir le meilleur de leurs textes ou de leurs poèmes, à l’écrire de leurs propres mains, à le signer, empreinte à l’appui, puis à le réciter de leur vive voix en audio-visuel.
Quant aux jeunes, la FCG cherche, depuis 2012, à recevoir différents groupes de lycéens et d’étudiants universitaires dans ses locaux afin de les initier et de les inciter à écrire, publier, entretenir des bibliothèques et conserver le patrimoine des grandes figures dans le monde des lettres, des sciences et de l’art.
Enfin, dans ces jours de grande dépression à tous les niveaux, la MNAC et la FCG ont lancé le mois passé une campagne de distribution gratuite (sans retour) de dix mille nouveaux livres (en une douzaine de titres) aux particuliers et aux membres des clubs culturels. La campagne étant toujours en cours.
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Bien chers amis (es),
Aujourd’hui, avec près de quatre vingt dix titres à mon actif (dont deux encyclopédies et plusieurs traductions), je suis fier de mes activités culturelles gratuites, notamment de ma série gratuite de livres littéraires écrits par des auteurs et poètes de tous pays et diffusés partout dans le monde, de mes prix littéraires qui ont uni des auteurs et poètes de toutes nationalités, ainsi que de mes propres œuvres littéraires dont des textes intégraux ou partiels sont traduits déjà dans cinquante et une langues, et où je relate ma pensée qui cherche à émanciper l’être humain des contraintes de tous genres, et s’efforce à réaliser une unité humaine basée sur l’entraide universelle, surtout en matière de culture gratuite car je dis en 2004: «La culture ne peut être achetée ou vendue», et je crois, depuis 1969 déjà, que «la culture, libre et éclairée, fait la paix», et je dis depuis 1993 «Qu’inutile de faire appel au sabre, lorsque la plume est mise en échec».
Merci pour votre patience.
Beyrouth, 21 mai 2021