La dernière semaine de février, chaque Roumain choisit pour soi, une des neuf premières journées de mars qu’ils appellent « ma Vieille ». D’où vient cette coutume ?
On dit qu’il y a fort longtemps une vieille femme maria son fils à une jeune femme belle et laborieuse. Mais la vieille, jamais contente de sa bru, infligeait à celle-ci les plus dures corvées. Ainsi, un jour de fin de février – ce mois est réputé le plus froid dans la région des Carpates – la marâtre envoya sa bru à la rivière laver la laine d’une brebis noire jusqu’à ce qu’elle devînt blanche. Les mains écorchées à vif, le cœur gelé, la pauvre jeune femme peinait en vain, lorsque l’apôtre Pierre se montra lui disant de continuer, car Dieu verrait son courage et lui porterait secours. A sa surprise, la jeune femme vit effectivement que la laine devenait de plus en plus blanche… Heureuse de pouvoir enfin satisfaire les exigences de sa belle-mère, elle prit le chemin de la maison. En route, elle trouva quelques perce-neige qui brisaient timidement la couverture glacée de la neige. Elle les recueillit et les accrocha dans ses cheveux.
Lorsque sa belle-mère la vit arriver, le bouquet de perce-neige dans les cheveux et la laine blanche dans les bras, elle transforma sa colère en raillerie, insinuant que sa belle-fille avait un amoureux qui lui offrait des fleurs. Et quand la jeune femme lui expliqua comment elle avait trouvé les fleurs, hargneuse, la vieille décida de partir avec son fils et leur troupeau de moutons sur la montagne car, disait-elle, le printemps était arrivé. Laissant sa bru à la maison, elle emporta neuf de ses pelisses, pour se couvrir en cas de froid.
Arrivés sur les premières hauteurs, un souffle doux leur laissa l’impression que l’hiver était bien parti. Et avec chaque jour qui passait, et chaque hauteur qu’ils gagnaient, la Vieille se débarrassait d’une de ses pelisses. Elle demandait tous les jours à son fils de jouer de son pipeau.
Regardant les animaux bêler et courir, la Vieille croyait toujours à l’arrivée du printemps. Les pauvres moutons, agités par la faim, couraient ci et là, ne trouvant rien à mettre sous la dent : malgré le redoux passager, le printemps n’était pas encore arrivé. Mais il n’en était rien, car le neuvième jour, la Vieille abandonna pourtant en route sa dernière pelisse.
Le lendemain, le temps changea brusquement. Le vent se mit à souffler, la neige à tomber. Les pauvres animaux, pelotonnés les uns contre les autres, ne résistèrent pas longtemps. Lorsque la Vieille demanda à son fils de jouer encore, alors que le pipeau de ce dernier était resté collé à ses lèvres, la fée Printemps se montra et parla ainsi à la Vieille : „Tu as envoyé ta pauvre belle-fille laver la laine à la rivière au mois de février par un froid de chien ! Elle est rentrée joyeuse, avec ses petites fleurs, mais tu l’as prise en raillerie ! Comment apprécies-tu à présent, la Vieille, l’arrivée du printemps ?”
La fée Printemps disparut à nouveau, le vent se mit à souffler avec violence et la Vieille assista impuissante à la mort de son fils et de son troupeau. Peu de temps après, elle gela aussi, se transformant en un rocher, figé aux côtés des pierres qu’étaient devenues son fils et ses moutons. Ce groupe de rochers se trouvant encore de nos jours dans les Carpates méridionales est connu sous le nom de « Vieilles ».
Depuis, chez les Valaques, ancêtres des Roumains méridionaux, on a appelé les neuf premiers jours du mois de mars, quand le printemps est trompeur, les journées de la Vieille. Ce qui veut dire : journées capricieuses, changeantes, comme l’humeur de la vieille femme de notre histoire.
Chaque Roumain qui choisit une de ces journées sait que son humeur pendant l’année sera conditionnée par le temps qu’il fera ce jour-là. Nombreuses sont les plaisanteries tout au long de l’année qui font le rapprochement entre la mauvaise humeur d’une personne et le malheureux choix qu’il a fait.
l’arrivée du printemps en proverbes roumains
(roumain – traduction littérale – équivalent français)
Cu o floare nu se face primăvara « une fleur ne fait pas le printemps »
= une hirondelle ne fait pas le printemps
Mai multi ghimpi în viaţă decât flori pe câmp
= plus de ronces dans la vie que de fleurs dans les champs
Urzica nu va fi floare niciodată „l’ortie ne sera jamais une fleur”
= le chien ne peut être chèvre
Sârguinţa e muma norocului = persévérance arrive à récompense
Cine seamănă spini, spini culege = qui sème les chardons récolte les épines
Toate la vremea lor = il y a un temps pour tout ; toute chose en son temps
Notre pays limité anciennement, dans son territoire le plus vaste, par trois grands fleuves : le Dniestr, la Tisza et le Danube, est également défini comme « carpato-danubo-pontique », en référence à la Mer Noire nommée le « Pont Euxin » par les Romains. Pourtant l’ouverture à la mer, fort curieusement, n’a pas donné naissance chez le peuple roumain à une vocation maritime. La pensée affective des Roumains se tourne plutôt vers ses Carpates, ses forêts et son Danube.
Témoignent ces proverbes roumains et leurs équivalents français à vocation maritime :
Dacă nu ţi se pleacă ţie vremea, pleacă-te tu vremii « si le temps ne se soumet pas à toi, tu dois te soumettre au temps »
trebuie să joci cum îţi cântă vremea „tu dois accorder la danse à la musique du temps”
= ce n’est pas le navire qui fait marcher le vent
Întoarce cojocul după vreme „retourne ta pelisse en fonction du temps qu’il fait”
= il faut tendre sa voile selon le temps
Saint-Mandé, Mariana Cojan Negulescu